Le lavement des pieds

Le contexte historique

Le lavement des pieds, une pratique tellement inconnue de notre société! Jésus pourtant le fit à ses disciples lors du repas. Ce geste était connu et largement répandu pour manifester une hospitalité bienveillante. Il est vrai qu'après un voyage sur les routes poussiéreuses de Palestine, le lavement des pieds sales était nécessaire. L'hôte respectueux de ses devoirs témoignait de la sympathie en offrant de l'eau pour se laver les pieds. Ainsi Abraham fit laver les pieds des trois visiteurs venus lui confirmer la promesse d'une descendance (Gen. 18.4). Certains se sont distingués par leur manque de respect envers Jésus en "oubliant" cette coutume (Luc 7.36-50).

Ce que Jésus a fait ne correspondait pas à l'acte traditionnel d'hospitalité. Jean raconte l'événement :

Avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père, et ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, mit le comble à son amour pour eux. Pendant le souper, alors que le diable avait déjà mis dans le coeur de Judas Iscariot, fils de Simon, le dessein de le livrer, Jésus, qui savait que le Père avait remis toutes choses entre ses mains, qu'il était venu de Dieu, et qu'il s'en allait à Dieu, se leva de table, ôta ses vêtements, et prit un linge, dont il se ceignit. Ensuite il versa de l'eau dans un bassin, et il se mit à laver les pieds des disciples, et à les essuyer avec le linge dont il était ceint. (Jean 13.1-5)

 

Plusieurs différences séparent le geste social de l'événement décrit par l'apôtre Jean. Le premier se faisait à l'arrivée des invités; le Christ le fit au cours du repas. Il était offert à la porte, le Christ le fit dans la chambre haute. Il était donné par un esclave, le Maître lui-même le pratiqua. Le lavement des pieds de Jésus n'était pas la simple observance d'une coutume orientale.

Par le lavement des pieds, Jésus montre son amour pour ses disciples. La syntaxe des versets 2-5 montre que le geste prend pour appui la position souveraine de Jésus, ainsi que son origine et sa destination divines (v. 3). "C'était un acte symbolique réfléchi et lourd de sens" et non simplement la coutume orientale.

Le Seigneur prit de l'eau, la versa dans un bassin et s'en servit pour laver les pieds de ses disciples. Tout comme le pain et le vin, le Seigneur utilise un véhicule "profane," connu de tous. Jésus va élever le lavement des pieds au rang de symbole et l'instituer en commandement.

Le symbolisme du geste

Il est commun d'entendre que le lavement des pieds est un symbole d'humilité. Ce dernier n'est certainement pas absent. Mais Jésus met-il principalement l'accent sur cet aspect ? Quel est le symbolisme fondamental du lavement des pieds ?

Première objection de Pierre

En répondant aux trois objections de Pierre, Jésus nous permet de comprendre ce qu'il voulait signifier par le lavement des pieds. Car au début, Pierre ne voit que la pratique habituelle d'hospitalité. Il est choqué à l'idée de Jésus (Jean 13.6 "Toi Seigneur, tu me laverais les pieds!"). Dans son impétuosité, Pierre refuse catégoriquement que le Seigneur s'abaisse au point de prendre la position d'esclave. Le Christ lui demande de patienter : (13.7). Jésus souhaite lui faire comprendre qu'il y a un enseignement spirituel à saisir, et qu'il comprendra plus tard la portée du geste.

Deuxième objection de Pierre

Pierre persévère dans son refus (13.8 : "Non, jamais tu ne me laveras les pieds"). Pierre veut comprendre immédiatement ! Alors Jésus explique : . Ne pas avoir de part avec Jésus, c'est n'avoir aucun héritage, aucune relation avec lui. "Avoir part" se réfère au destin éternel de Pierre auprès de Jésus.

Ce geste n'est pas seulement un témoignage d'humilité de la part du Roi des rois. Il s'adresse à ceux qui ont part avec Jésus, qui sont unis à lui. Pour eux, le lavement des pieds témoigne d'une réalité spirituelle. La vérité spirituelle est que si la personne en question n'est pas lavée de ses péchés, elle sera séparée de Jésus dans l'éternité.

Pierre ne voyait qu'un geste d'humilité - et il en était gêné. Jésus lui dit qu'il y a image, enseignement d'une réalité spirituelle.

Troisième objection de Pierre

Pierre commence à comprendre. Il saisit que Jésus utilise le verbe laver dans un sens rituel, avec l'idée d'une purification spirituelle. Dès lors, Pierre pense que Jésus ne doit pas s'arrêter aux pieds seulement : (Jean 13.9) !

Jésus doit à nouveau reprendre son disciple. Avec patience, le Christ explique : (Jean 13.10). Ce verset fournit l'explication. Le verbe louo évoque le lavement de tout le corps. Le verbe nipto évoque l'ablution d'une partie du corps. Jésus affirme que onze de ses disciples étaient déjà purs (13.10), et donc qu'ils n'avaient plus besoin de se purifier complètement.

Un homme qui sort de la douche est entièrement propre. Mais dès qu'il pose le pied hors de la baignoire, il se salit les pieds. Il n'a pas besoin de se laver tout à nouveau - sauf les pieds. C'est le symbolisme du geste. Le chrétien est justifié et sanctifié (Rom. 5.9, 1 Cor. 6.9-11, Héb 10.1-12). Mais tout de suite après sa nouvelle naissance, il constate qu'il pèche encore (1 Jean 1.8-2.2). Il n'a pas besoin de se "convertir à nouveau," d'être purifié à nouveau. Il a besoin d'admettre ses fautes (1 Jean 1.9). Et ainsi le lavement des pieds symbolise ce besoin régulier, cette sanctification quotidienne.

Ce sens spirituel se retrouve dans Exode 30.17-21, où les ablutions des sacrificateurs sont d'un même ordre symbolique.

L'Eternel parla à Moïse, et dit: Tu feras une cuve d'airain, avec sa base d'airain, pour les ablutions; tu la placeras entre la tente d'assignation et l'autel, et tu y mettras de l'eau, avec laquelle Aaron et ses fils se laveront les mains et les pieds. Lorsqu'ils entreront dans la tente d'assignation, ils se laveront avec cette eau, afin qu'ils ne meurent point; et aussi lorsqu'ils s'approcheront de l'autel, pour faire le service et pour offrir des sacrifices de l'Eternel. Ils se laveront les mains et les pieds, afin qu'ils ne meurent point. Ce sera une loi perpétuelle pour Aaron, pour ses fils et pour leurs descendants.

Synthèse et perspective historique

Ce geste n'est pas seulement un témoignage d'humilité de la part du Roi des rois. Il s'adresse à ceux qui ont part avec Jésus, qui sont unis à lui. Pour eux, le lavement des pieds témoigne d'une réalité spirituelle. La vérité spirituelle est que si la personne en question n'est pas lavée de ses péchés, elle sera séparée de Jésus dans l'éternité. Le lavement des pieds que Jésus opère dépeint la purification des péchés.

Cet aspect de la Pâque chrétienne correspond parfaitement au pain sans levain de la Pâque juive. Paul fait l'analogie entre l'absence de levain, et une vie purifiée lors de la célébration de la Pâque chrétienne (1 Cor. 5.6-8).

Cette compréhension du sens du lavement des pieds n'est pas du tout originale. Les extraits suivants montrent que plusieurs commentateurs analysent Jean 13.1-10 de la même manière.

Bien des siècles en arrière, Irénée (qui comprenait que Jean 13 eut lieu "lors de la Cène") écrivit :

Mais dans les derniers temps, de la liberté, le Verbe a par lui-même , en lavant de ses propres mains les pieds de ses disciples, c'est-à-dire de l'humanité recevant à la fin Dieu en héritage... Celui qui a lavé les pieds des disciples a sanctifié et amené à la purification le corps tout entier.

Augustin, 4ème siècle :

Un chrétien ne devrait jamais se penser trop élevé pour faire ce que Christ a fait. Car, lorsque le corps est penché devant les pieds d'un frère, le sentiment d'humilité est soit réveillé soit fortifié s'il est déjà présent. Mais à part cette compréhension morale du passage, nous nous rappelons... qu'en lavant les pieds de ses disciples, qui étaient déjà lavés et purs, le Seigneur a institué un signe pour que quel que soit notre avancement dans la sainteté, nous reconnaissions que nous ne sommes pas exempts du péché.

Bernard de Clairvaux, 12ème siècle:

Le lavement des pieds est une purification des offenses journalières, qui semble-t-il, sont inévitables pour ceux qui marchent dans la poussière du monde.

Jean Calvin (16ème siècle) :

... car comme le Christ lave depuis la tête jusqu'aux pieds ceux qu'il reçoit pour ses disciples, ainsi en ceux qu'il a déjà purifiés la partie basse reste toujours à être purifiée; vu que les enfants de Dieu ne sont pas totalement régénérés dès le premier jour, en sorte qu'ils ne sentiraient en eux rien d'autre que la vie céleste; au contraire, les reliques de la chair demeurent en eux contre lesquelles ils ont à batailler tout le temps de leur vie. Ainsi donc, par métaphore ou similitude toutes les affections ou sollicitudes qui nous font toucher au monde sont nommées les pieds ; car si l'Esprit occupait toutes les parties de nous, nous n'aurions plus rien de commun avec les ordures du monde. Mais maintenant, par la partie que nous sommes charnels, en rampant contre terre, ou pour le moins en fichant les pieds en la fange, nous sommes d'autant immondes ou souillés. Ainsi le Christ trouve en nous quelque chose pour purifier ou nettoyer. Au reste, il n'est point ici parlé de la rémission des péchés, mais de la rénovation par laquelle le Christ délivre et exempte ses fidèles des cupidités de la chair peu à peu et par succession continuelle.

Frédéric Godet, fin 19ème siècle :

De même qu'après s'être baigné le matin, un homme s'envisage propre pour la journée tout entière et se contente de se laver les pieds lorsqu'il rentre du dehors, afin d'enlever les souillures accidentelles qu'ils ont pu contracter dans la marche, de même celui qui, en s'attachant sérieusement à Christ, a rompu, une fois pour toutes, avec le péché, n'a pas besoin de recommencer à chaque souillure particulière cette consécration générale ; il n'a qu'à se nettoyer cette tache par la confession et le recours à Christ.

L. Morris, auteur de ce qui est peut-être le meilleur commentaire sur l'Evangile de Jean, écrit :

Beaucoup prennent cette histoire comme rien de plus qu'une leçon d'humilité, ignorant trop le fait que dans ce cas, le dialogue entre Jésus et Pierre obscurcit totalement sa signification! Mais ces paroles, prononcées à l'ombre de la croix, ont rapport avec la purification, cette purification sans laquelle aucun homme n'appartient à Dieu, cette purification qui est donnée par la croix.

Au sujet du lavement des pieds, le Nouveau Dictionnaire Biblique explique :

Cet acte était 1. une leçon d'humilité pour les disciples [...] 2. Les pieds sont ce qui se salit le plus pendant la marche en sandales sur des chemin poussiéreux. Nous avons besoin de nous faire quotidiennement , c'est-à-dire de nous laisser purifier par Jésus des souillures inévitables que nous contractons par la marche dans ce monde corrompu. 3. attire l'attention sur le devoir de pardon réciproque des péchés que toute vie relationnelle dans ce monde engendre [...].

Selon la coutume orientale due à l'effet des routes poussiéreuses sur les pieds ne portant que des sandales, le Seigneur, lors du Dernier Repas, lava et sécha les pieds de ses disciples (Jean 13.1-20). Cet acte servait comme exemple d'humilité (v. 15), comme une exhortation à se pardonner réciproquement (v. 14) et comme une leçon du besoin de purification de la vie chrétienne (v. 10). Comme le baptême symbolise le pardon des péchés, le lavement des pieds symbolise le besoin de purification pour la communion [avec le Seigneur].

J.-M. Nicole comprend ce passage de la même manière, même s'il n'y voit pas de commandement pour l'Eglise :

Il voulait montrer aux apôtres qu'après le pardon initial comparé à un bain, ils avaient besoin, pour être en communion avec lui, d'être purifiés des souillures contractées au cours de leur marche quotidienne.

Non! Les Eglises Evangéliques des Frères n'ont pas tort de voir un geste hautement symbolique : l'aspect présent de l'oeuvre de Christ, le pardon quotidien. Le parallèle avec les pains sans levain de la Pâque juive et la cuve d'airain est trop évident pour l'ignorer. Le Chrétien célèbre la miséricorde sans cesse renouvelée du Seigneur. Il médite sur la conduite de sa vie et prend garde de "ne pas mettre les pieds n'importe où." Il se purifie de tout levain (1 Cor. 5.7) et travaille à son salut avec crainte et tremblement (Phil. 2.12). Il ne manque pas l'occasion de pardonner à ses frères et soeurs et les servir avec humilité, se souvenant du geste de Jésus.

La nécessité du geste

Il n'y a aucun doute quant au dessein du Maître pour les apôtres : ces derniers doivent pratiquer le geste. Voici ce que Jésus leur commande :

Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez [opheilo] vous laver [nipto] les pieds les uns aux autres; car je vous ai donné un exemple, afin que vous aussi, vous fassiez comme moi je vous ai fait. En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que son seigneur, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé. Si vous savez ces choses, vous êtes heureux, pourvu que vous le mettiez en pratique. (Jean 13.14-17)

En vue de la seigneurie du Maître (v. 13), les apôtres devaient [opheilo] "se laver les pieds les uns les autres". Le verbe opheilo signifie "devoir, être contraint à, être obligé de". Le Christ ne leur demande pas d'imiter l'exemple, mais de pratiquer l'exemple. C'est logique car le geste enseigne le sens. Jésus ne dit pas d'oublier le geste pour ne retenir que la leçon. La répétition du symbole est nécessaire à la rétention de la vérité énoncée (Ex. 12.26-27; 13.6-9). D'ailleurs, Jésus renforce son commandement au v. 15, "afin que vous fassiez [poiete] comme moi je vous ai fait." Le commandement est renforcé. Et Jésus insiste une troisième fois, y adjoignant une béatitude pour ceux qui lui obéissent (v. 17). "Si vous savez ces choses, vous êtes heureux, pourvu que vous les pratiquiez [poiete]." La bénédiction sera la leur, à condition qu'ils observent le symbole et qu'ils comprennent ce qu'il symbolise.

Jésus, sans aucune possibilité de doute, a commandé aux apôtres de pratiquer le lavement de pieds, et bien sûr de vivre la réalité qu'il illustre. Ils ont eux-mêmes besoin du pardon quotidien. Ils doivent être humbles. Et comme le Seigneur leur a pardonné, et qu'il pardonne encore, il faut qu'ils pardonnent à leurs frères les fautes commises contre eux.

En fait, la plupart des commentateurs sont d'accord avec cette interprétation. Mais parmi les auteurs cités plus haut, peu sont ceux qui voient en Jean 13.14-17 une obligation ou un commandement pour l'Eglise. Pourquoi ?

Pourquoi le lavement des pieds n'est-il mentionné qu'en Jean ? D'ailleurs, pourquoi Jean ne parle pas du pain et du vin ? Tous s'accordent à dire que Jean a décrit ce que les trois premiers Evangiles n'avaient pas relaté. Il complète les synoptiques. Le besoin du pardon des péchés présents est une réalité que chaque chrétien comprend (1 Jn. 1.9). Jean estima-t-il que ce récit et sa signification spirituelle était nécessaire pour la santé spirituelle de l'Eglise ?

Certains disent que Jean 13 s'applique surtout aux apôtres, et non à l'Eglise. Mais l'ensemble du discours de Jésus dans la chambre haute s'applique à l'Eglise.

Lightfoot commente sur Jean 13-17 en entier,

Jean veut que ses lecteurs aient en tête non seulement les disciples, mais tous les membres futurs du Corps de Christ.

Du mobile de Jean, Morris écrit :

Il est plus inquiet du sens que de la cérémonie, et par là-même donne un enseignement qui éclaire la signification du rite pratiqué de partout par les chrétiens.

La question se pose donc : Jésus voulait-il que seuls les apôtres pratiquent le lavement de pieds, ou bien que tous les croyants l'observent ? La réponse à cette question explique la divergence de pratiques.

Comment les apôtres ont compris ce commandement ? Ont-ils pratiqué le lavement des pieds exclusivement entre eux-mêmes en tant que bande apostolique comme quelque chose qui leur était réservé ? Sûrement pas ! Nous verrons plus tard que l'Eglise primitive n'a pas considéré le lavement des pieds comme un privilège apostolique. Nous devons être très prudents pour attribuer cette pratique aux apôtres seulement. Nous ne le ferions jamais de l'exhortation de Jean 13.34-35 !

Beaucoup avancent que l'utilisation du mot "exemple" [upodeigma] implique qu'il faut attacher de l'importance au sens plus qu'au geste. Pourtant ce même mot est utilisé en Héb. 8.5 pour décrire le culte de la Loi. Les Israélites n'avaient pas la liberté d'oublier les gestes de la Loi, sous prétexte que ce n'était "qu'un exemple".

Si nous prenons la liberté de négliger la pratique du symbole du lavement de pieds, ne pourrions-nous pas le faire également avec la coupe et le pain? Considérons que l'idée essentielle est de se souvenir de la mort du Christ. Un moment de silence à la fin du culte conviendrait. Oublions les problèmes d'organisation de la distribution !

Certains sont mécontents qu'aucune instruction relative au lavement des pieds ne se trouve dans les épîtres. Paul, par exemple, ne mentionne pas le lavement des pieds dans les passages qui traitent de la Cène en 1 Corinthiens. Cela gêne certains qui y voient l'aveu que l'Eglise primitive ne l'accomplissait pas. Cependant, Paul fait l'analogie entre l'enlèvement du levain de la pâque juive et la purification de vie lors de la Pâque chrétienne (1Cor.5.6-8). Et nous avons vu que la réalité derrière le lavement des pieds est analogue à celle figurée par le des pieds.

Nous voyons également cette réalité spirituelle dans 1 Cor. 11.27-29 : "que chacun s'éprouve soi-même, et qu'ainsi il mange du pain et boive de la coupe." Avant de participer à l'eucharistie, le chrétien devait confesser ses péchés et se purifier de ses fautes.

Il faut se rappeler que 1 Corinthiens est une lettre ad hoc. Paul ne rédige pas un traité complet. Il répond aux questions des Corinthiens et traite de problèmes précis. En l'occurrence, il réprouve leurs abus lors de la célébration du repas. Ce n'est pas un exposé complet sur la Sainte Cène. Il le dit expressément au v. 34. L'absence de l'expression "lavement des pieds" n'a pas de poids particulier contre la pratique.

Pourtant, les épîtres ne sont pas tout à fait silencieuses sur ce point. Paul donne à Timothée des critères pour reconnaître les "vraies veuves", celles qui sont dignes d'avoir un ministère officiel et d'être soutenues financièrement par l'assemblée :

Qu'une veuve, pour être inscrite sur la liste, n'ait pas moins de soixante ans, qu'elle ait été la femme d'un seul mari, qu'elle soit connue comme ayant élevé des enfants, exercé l'hospitalité, lavé les pieds des saints, secouru les malheureux, et recherché toute oeuvre bonne (1 Timothée 5.9-10).

Que veut dire "lavé les pieds des saints" ? Paul parle-t-il de l'hospitalité ? Ne serait-ce pas une répétition avec le critère précédant ? Le lavement des pieds traditionnel faisait partie intégrante de l'hospitalité, autant que de pourvoir à un repas, un lit, etc. Il serait étrange que Paul sépare cette coutume de l'hospitalité. Surtout qu'il est question "des pieds des saints." Paul n'était pas ségrégationniste pour différencier le traitement des croyants et des non-croyants ! On peut supposer que ce critère reflète plutôt la participation de cette veuve à la vie de l'Eglise. Une veuve devait avoir été fidèle dans la célébration du repas du Seigneur, dont le lavement des pieds faisait partie.

Les apôtres ont bien compris que le geste était pour toute l'Eglise. Par conséquent, l'église primitive a souvent pratiqué le lavement des pieds, comme le montrent ces diverses citations :

Tertullien écrit,

Je dois reconnaître le Christ, à la fois lorsqu'il s'incline sur un coussin, et lorsqu'il présente un bassin pour les pieds de ses disciples, lorsqu'il déverse de l'eau d'un vase, et lorsqu'il prend un linge dont il se ceint... Nous nous servons aussi de ces articles.

Augustin conseille :

Touchant le lavement des pieds que notre Seigneur a institué par son exemple, pour nous marquer par là jusqu'où doit aller l'humilité qu'il est venu nous enseigner, vous me demandez quel est le temps le plus propice pour renouveler par cette cérémonie la mémoire de cette grande action de Jésus Christ; et il semble que c'est celui où la célébration de la Passion imprime le plus de sentiments de Religion pour cette institution si sainte. Néanmoins, il y en a plusieurs qui n'ont pas voulu en faire un usage ordinaire; de peur que cette cérémonie ne fut regardée comme étant des appartenances du baptême qui se confère dans le même temps. Il y en a même qui par cette raison n'ont pas fait difficulté de la supprimer, mais il y en a d'autres aussi qui pour la distinguer du Baptême et la rendre même plus recommandable par la sainteté du temps qu'on prend pour la célébrer, choisissent pour cela ou le troisième jour dans l'Octave du Baptême, à cause de l'excellence des mystères par où le nombre de trois se trouve consacré, ou le jour même de l'Octave.

Le synode de Tolède (694) déclara que la communion devait être pratiquée le jeudi avant la Pâque, et que ceux qui ne participaient pas au lavement des pieds ne pouvaient pas non plus participer à l'eucharistie.

En fait ce sont les abus de l'Eglise Catholique qui ont fait détester cette pratique. Calvin réfute l'institution rituelle du lavement des pieds, s'appuyant sur "l'imitation perverse" des papistes qui sont "singes plutôt qu'imitateurs", il conclut :

Ainsi, le Christ ne nous commande point ici une cérémonie qui se fasse tous les ans, mais il veut que nous soyons appareillés à toutes heures, et tout le temps de notre vie, à laver les pieds de nos frères et prochains.

Ces abus semblent être le facteur principal qui pousse F. Godet à rejeter la pratique du lavement des pieds :

Depuis le quatrième siècle, l'Eglise a trouvé, dans les v. 14 et 15, l'institution d'un rite; et l'on sait ce que cette cérémonie est devenue, là où elle est encore matériellement pratiquée.

... déclarée obligatoire dans un concile tenu à Tolède (694), célébré dans les églises d'Espagne et de Gaule, accompli le Jeudi saint par le pape comme représentant du Christ, reçu aussi dans l'Eglise grecque, où il s'est maintenu dans les couvents, combattu par les réformateurs; admis en Angleterre depuis Wolsey (1530) jusqu'au règne de Jacques II; de même par les Mennonites en Hollande et par l'église Morave où il est tombé en désuétude.

Or, la question se pose: devrait-on réagir aux abus par la négligence ou par la restauration de leur pureté et de leur simplicité originelles? Nous pensons que le témoignage de la Parole est suffisant pour établir une pratique dans l'Eglise, même si l'histoire, dans son ensemble, y a vu des abus. Nous souhaiterions pratiquer le geste attaché au pardon quotidien des péchés et vivre l'attitude d'humilité envers nos frères et nos soeurs qui nous ont fait des travers.

Nous concluons que le lavement des pieds n'était pas destiné uniquement aux apôtres. Ce qui implique que ce commandement s'applique à l'Eglise d'aujourd'hui, tout comme la bénédiction qui y est attachée.

Ceci dit, le fait que d'autres hommes de Dieu ne partagent pas cette compréhension est un rappel à être humbles dans notre conviction. Concluons avec le Seigneur : "Si vous savez cela, vous êtes heureux, pourvu que vous le mettiez en pratique". Amen !

Le repas

Les quatre évangiles et 1 Corinthiens 10 & 11 nous montrent qu'un repas, l'agape, forma le cadre de l'eucharistie.

Il existe quatre possibilités pour comprendre cette agape.

(1) ce n'était que le support historique de la célébration. En d'autres termes, il s'est trouvé que Jésus a institué la Cène lors du repas pascal, mais il aurait pu le faire à un autre moment. L'agape n'a donc aucun symbolisme propre.

(2) l'agape était bien une coutume de l'Eglise apostolique (cf. Jude 12), mais n'ayant aucune relation avec la Cène.

(3) l'agape fait partie de la Cène, mais le pain et le vin sont suffisants pour symboliser un repas. On peut donc se passer de l'agape.

(4) l'agape est un repas réel distinct du pain et du vin, mais attaché à la célébration de la Cène avec son propre symbolisme.

Nous croyons que (4) est correct, que l'agape fait bien partie intégrante de la "pâque chrétienne," et ce pour deux raisons : (a) sa complémentarité avec les deux autres aspects qui composent l'ensemble de la Cène et (b) son symbolisme propre. L'agape complète admirablement le tableau donné par Jésus car elle dépeint la communion fraternelle (un aspect présent), et la glorification future des saints.

Le contexte historique

Le repas est partout présent ! Le repas de la Pâque juive est le contexte des quatre récits dans les évangiles. Dans les Actes l'agape est indissociable de la "fraction du pain" (voir notamment Actes. 2.46, 20.7 & 11), comme I. Howard Marshall explique:

C'est l'expression de Luc pour le repas du Seigneur. Il se réfère à l'acte où l'on commençait par un repas juif, et qui avait gagné un sens particulier auprès des chrétiens en relation avec l'action de Jésus lors du dernier repas et également quant il nourrit les multitudes (Lc 9.16; 22.19; 24.30; Actes 20.7, 11.

La fraction des pains d'Actes 2.42, 46, 20.7, 11, 27.35 s'accompagnait de nourriture bien réelle. Un repas est également en vue dans les trois passages de 1 Corinthiens. Le repas est le fondement de l'eucharistie. Le pain et la coupe proviennent de ce repas.

Le symbolisme du geste

Le repas a-t-il un symbolisme propre ?

Dans 1 Cor. 10.14-22, la table des démons était indiscutablement un repas en l'honneur d'une idole (1 Cor. 8.1-13). Paul explique aux Corinthiens qu'ils ne peuvent participer aux banquets des païens sans être en communion avec des démons. La table [trapeza] (1 Cor. 10.21) signifie une table véritable sur laquelle on sert un repas.

Tout au long de la discussion, Paul établit un parallèle entre trois éléments : "la table des démons", le banquet juif et "la table du Seigneur" où l'on partage le pain et le vin. Il parle du repas païen mangé après le sacrifice. Il parle du repas que les Israélites mangeaient après le sacrifice de l'agneau. Selon son analogie, il parle d'un véritable repas chrétien, dont le pain et la coupe font intégralement partie. Les règles herméneutiques nous poussent à ne pas changer, sans raison satisfaisante, le sens de "table" au v. 21 pour dire qu'il se réfère à un pain.

Paul met l'accent sur la réalité spirituelle de "la communion" [koinonia]. C'est la communion au sang de Christ et au corps de Christ, la communion verticale avec Dieu et la communion horizontale avec les autres membres de l'Eglise (v. 16-17). Ces réalités spirituelles sont célébrées lors d'un repas, ce que Paul appelle "table du Seigneur."

Nous pouvons donc rejeter l'hypothèse (1) qui dit que le repas n'était qu'un support de la célébration de la cène. Au contraire, le repas est le symbole qui évoque l'unité du peuple de Dieu, et son devoir de vivre dans l'amour. Le terme d'agape utilisé en Jude 12 (litt. amour, charité, affection), est donc bien approprié.

Le repas a-t-il une relation avec la Cène ?

Les quatre évangiles et 1 Corinthiens 10 & 11 nous présentent l'eucharistie toujours dans le cadre d'un repas.

J.N.D. Kelly explique l'agape,

Ceux-ci étaient des repas, religieux dans leur nature et représentant une adaptation chrétienne primitive des pratiques juives (cf. les repas chaburah ; également pour les sectes de Qumran , 1QS vi.2-8; QSa ii.17-22), qui exprimaient dans l'Eglise des débuts à l'amour fraternel (d'où le mot) unissant la communauté. Ils avaient lieu le soir au temps habituel, de vrais repas dont l'objectif était de satisfaire la faim, et du moins dans certains endroits, dans les époques précédentes, étaient intimement liées à l'eucharistie. 1 Cor. xi.1-34 donne une image vivante de ce qu'a pu être ce dernier type de festin; les agapes qui semblent être mentionnées en Actes ii.46; Did. ix f.; Ep. apost. (c.160) XV étaient également liées à l'eucharistie. Au deuxième siècle, cependant, l'agape semble être devenue indépendante de l'eucharistie: Ignate, Smyrn. viii.2 (probablement); Pline, Ep. x.96.7; Tertullien, Apol.xxxix; Minucius Felix, Octav. xxxi; Hippolyte, Trad. apost. xxvi."

Nous voyons que l'agape, telle qu'elle est décrite dans les Ecritures, a été observée par l'Eglise primitive mais abandonnée par la suite à cause des abus (comme nous le verrons). Ne devrions-nous pas pratiquer le symbole, vivre l'attitude biblique et corriger les abus, au lieu de simplement rejeter cette pratique qui est tellement riche en signification ? C'est au moins l'approche de l'apôtre Paul.

Dans 1 Cor. 11.17-34, Paul corrige les Corinthiens pour leur manque de considération mutuelle. Ils se réunissent pour manger ensemble "le repas [deipnon] du Seigneur" (1 Cor. 11.20), mais leur conduite empreinte d'égoïsme et de manque de respect contredisait leur geste. Certains mangeaient tout avant l'arrivée des autres, et buvaient même une quantité excessive de vin, au point de s'enivrer (11.21) ! Paul exhorte à "discerner" le corps du Seigneur. Jésus-Christ a créé une nouvelle "race," un nouveau peuple où riches et pauvres, juifs et grecs, ont un même rang. Son Eglise se compose d'êtres différents mais unis en un seul corps. Ce qui devait être enseigné par le repas du Seigneur était bafoué par l'attitude égoïste des Corinthiens.

Certains disent que Paul supprime ici l'agape à cause des abus. Au contraire, Paul sous-entend que les Corinthiens vont continuer à pratiquer ce repas tout en respectant l'attitude appropriée (1 Cor. 11.33). S'ils ont tellement faim qu'ils ne peuvent pas attendre les autres, qu'ils mangent quelque chose chez eux avant de venir participer à l'agape, afin de ne pas bafouer le sens de la communion fraternelle.

Nous rejetons donc l'hypothèse (2), qui affirme que l'agape était bien une coutume de l'Eglise apostolique, mais n'ayant aucune relation avec la Cène. Dans 1 Cor. 10 et 11, le repas forme le contexte de l'eucharistie et porte son propre symbolisme.

On peut argumenter que le symbole d'un "seul pain" présente convenablement le concept de la communion fraternelle. Considérons l'hypothèse (3) que l'agape fait partie de la Cène, mais que le pain et le vin sont les symboles suffisants d'un repas.

Le repas est-il synonyme de l'eucharistie?

Si (3) est correct, alors l'agape est un synonyme de l'eucharistie. Ainsi, le repas serait le symbole d'un symbole. Ce n'est pas le cas. Nous avons vu que Paul appelle le repas et non l'eucharistie "la table (trapeza) du Seigneur" (1 Cor. 10.21). Dans 1 Cor. 11.20, le "repas (deipnon) du Seigneur" devient la source des problèmes dans l'église de Corinthe. Dans ce passage il n'est assurément pas question de l'eucharistie seule.

J.C. Lambert explique que dans l'église primitive le repas et l'eucharistie étaient deux éléments distincts l'un de l'autre :

Selon l'opinion de la grande majorité des experts, l'agape était un repas au cours duquel on n'échangeait pas seulement du pain et du vin, mais l'on servait toute sorte de viandes, un repas qui avait le double objectif de satisfaire la faim et la soif et qui exprimait un certain sens de la fraternité chrétienne. A la fin de cette fête, du pain et du vin circulaient en témoignage du commandement du Seigneur, et après avoir rendu grâces, l'on en prenait en souvenir du Christ et comme moyens particuliers de communion avec le Seigneur lui-même, et au travers de lui, les uns avec les autres. Ainsi, l'agape est liée à l'eucharistie comme la dernière Pâque de Christ l'est au rite chrétien qu'il lui greffa, et était en fait distincte de celle-ci.

Un repas complet est bien le symbole que Jésus a adapté de la Pâque juive à la Pâque chrétienne. Ce symbole est réaffirmé par l'apôtre Paul. Le temps passé autour de la table avec les frères et les soeurs en Christ caractérise la communion fraternelle d'une manière plus aiguë que le simple geste de rompre le pain.

Beaucoup d'églises ressentent le besoin d'un tel "repas fraternel." Nous jouissons du repas du Seigneur dans son contexte biblique, la Sainte Cène. Ainsi, nous profitons aussi de son symbolisme riche, la communion fraternelle actuelle et future. Future parce que le repas semble annoncer l'image de notre présence aux noces de l'Agneau, ce que l'eucharistie ne dépeint pas.

Dans Luc 22.29-30, Jésus pensait à un repas futur avec ses disciples à sa table. Nous sommes destinés à un deipnon, "festin" (Apoc. 19.9). Nous ne devons pas ignorer cet aspect eschatologique de la Cène. L'agape est une avant première du festin des noces.

Le lexique de Bauer, Arndt, Gingrich et Danker comprend en trapeza un sens eschatologique (Luc 22.30: "la table" du Seigneur).

De la table céleste à laquelle les compagnons du Messie doivent manger à la fin des temps vs. 30.

R. S. Wallace explique que les disciples ont compris cette signification future de l'agape,

Après la résurrection, lors des célébrations fréquentes du repas (Actes 2.42-46; 20.7), les disciples anticipaient le sommet de leur communion à table avec celle que Christ avait vécu avec les Publicains et les pécheurs (Luc 15.2; Matt. 11.18-19) comme avec leur propres repas quotidiens avec lui. Ils l'interprétaient non seulement comme une simple prophétie, mais comme un réel avant-goût du banquet messianique à venir, et comme un signe de la présence du mystère du royaume de Dieu parmi eux dans la personne de Jésus.

Lors du retour du Christ, le peuple de Dieu purifié de ses péchés, sera uni à son Créateur lors d'un banquet formidable. Ne serait-ce cette Pâque dont Christ prophétise la célébration future (Luc 22.15-16) ? C'est probablement elle qui est annoncée dans un texte très touchant d'Esaïe:

L'Eternel des armées fera pour tous les peuples, sur cette montagne, un festin de mets succulents, un festin de vins vieux, de mets succulents, pleins de moelle, de vins vieux, clarifiés. Et, sur cette montagne, il anéantit le voile qui voile tous les peuples, la couverture qui couvre toutes les nations; il anéantit la mort pour toujours ; le Seigneur, l'Eternel, essuie les larmes de tous les visages, il fait disparaître de toute la terre le déshonneur de son peuple; car l'Eternel a parlé. (Esaïe 25.6-8).

Ainsi, nous en déduisons que l'agape illustre la manifestation future de notre salut. Elle annonce et préfigure le festin des noces de l'Agneau où notre communion avec le Seigneur et notre sanctification seront achevées.

Le pain et le vin seuls illustreraient-ils suffisamment l'aspect eschatologique que Jésus envisage en Luc 22.29-30? "[...] je dispose du royaume en votre faveur, comme mon Père en a disposé en ma faveur, afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume [...]." L'eucharistie rappelle à merveille la mort de Jésus, mais ne dépeint pas pleinement le riche symbolisme de la Cène que Jésus y attache. Nous rejetons, donc, l'hypothèse (3) disant que l'agape est synonyme de l'eucharistie. Nous adhérons à l'interprétation (4) : l'agape est un repas réel distinct du pain et du vin, mais attaché à la célébration de la Cène et muni de son propre symbolisme.

La nécessité du geste

Une dernière question se pose. Ce repas est-il commandé dans les Ecritures? De l'aveu de tous, il n'y a pas de commandement direct pour le repas, de style "vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres" et "faites ceci en mémoire de moi."

Pourquoi donc pratiquons-nous l'agape ? Premièrement, il est simplement présent dans tous les textes qui expliquent la Cène! Le repas est le contexte de l'ensemble de la Sainte Cène tout comme le repas est le contexte de l'ensemble de la Pâque juive. Il serait inconcevable à un Juif de célébrer la Pâque sans repas ! Pour lui, elle ne serait pas la Pâque.

Deuxièmement, Jésus a pris la Pâque juive et y a greffé son propre symbolisme - un rappel eschatologique. Sans le repas, le symbolisme de la Cène est tronqué.

Troisièmement, Paul montre clairement que le repas porte la signification supplémentaire de la communion fraternelle. La célébration de l'acte du repas du Seigneur est une bénédiction dont nous ne voulons pas nous priver.

Quatrièmement, en dépit des abus dans son histoire, cette compréhension est soutenue par la pratique de l'église primitive et par les Ecritures.

Notre Seigneur institue un geste lors d'un repas, puis il annonce qu'il prendra ce repas lors de son retour ("Il leur dit: J'ai désiré vivement manger cette Pâque avec vous, avant de souffrir; car, je vous le dis, je ne la mangerai plus, jusqu'à ce qu'elle soit accomplie dans le royaume de Dieu," Luc 22.15-16).

Beaucoup reconnaissent que l'Eglise primitive célébrait la Cène pendant un repas. Le Nouveau Dictionnaire Biblique écrit des agapes qu'elles étaient des "repas pris en commun, au cours desquels on célébrait la Sainte Cène." Berkhof constate qu'au début, "le repas du Seigneur était accompagné par un repas habituel, pour lequel les gens apportaient les ingrédients nécessaires."

L'histoire de l'Eglise des premiers siècles montre que l'eucharistie était synecdoque de l'agape. Le didachê enseigne :

Pour ce qui est de l'action de grâce, voici comment vous rendrez grâces; d'abord pour la coupe... Pour la fraction du pain... Après que vous vous êtes rassasiés, rendez grâces ainsi... Tu as, ô maître tout-puissant, créé toutes choses à cause de ton nom, tu as donné le manger et le boire aux hommes pour qu'ils en jouissent et afin qu'ils te rendent grâces...

Ignace envoya aux Smyrniotes une lettre qui aura par la suite des effets catastrophiques dans le développement d'une pensée sacerdotale et "sacrementaliste". Mais sa lettre montre la pratique de l'agape (entre 98 et 108 ap. J.C.) :

Que personne ne fasse, en dehors de l'évêque, rien de ce qui regarde l'Eglise. Que cette eucharistie seule soit regardée comme légitime, qui se fait sous la présidence de l'évêque ou de celui qui l'aura chargé... Il n'est pas permis en dehors de l'évêque ni de baptiser, ni de faire l'agape, mais tout ce qu'il approuve c'est agréable à Dieu aussi.

L'historien Bruce observe :

Pendant la période apostolique, il est assez clair que l'eucharistie faisait parti d'un repas fraternel ou "agape" [...]; mais nous voyons une séparation entre les deux dès l'année 112; le repas commun entre chrétiens est pris plus tard dans la journée (l'eucharistie sera prise lors d'un culte "avant l'aube").

Les érudits sont quasiment unanimes sur le fait que l'Eglise primitive célébrait le repas comme partie intégrante de la Sainte Cène. Pourquoi donc a-t-elle séparé ces éléments comme Bruce le dit ? L'historien Phillip Schaff explique que la disparition de ce repas fraternel est due aux excès constatés par l'église,

Au cours de la période apostolique, l'eucharistie était célébrée quotidiennement en relation avec un simple repas d'affection fraternel (agape), où les Chrétiens, en communion avec leur Rédempteur, oubliant toute distinction de rang, de richesse et de culture, et se rendaient compte qu'ils faisaient partie de la même famille de Dieu. Mais cette manifestation enfantine de l'unité fraternelle devint de plus en plus difficile alors que l'église grandissait, ce qui amenait tout un tas d'abus, tels que ceux que Paul reprochait aux Corinthiens. Les agapes, qui n'étaient pas plus imposées par la loi que la communion des biens à Jérusalem, furent graduellement séparées de l'eucharistie, et au cours des deuxième et troisième siècles, disparurent progressivement.

C'est à cause de la généralisation des troubles comme ceux que Paul dénonce à Corinthe, que les agapes furent petit à petit abolies. Jules-Marcel Nicole affirme que la Cène était "célébrée d'abord après un repas fraternel ou agape, puis pour éviter des désordres, administrée comme une cérémonie isolée." En 391, le concile de Carthage exigea le jeûne des participants à l'eucharistie. Le concile de Trullan (692) décréta que ceux qui participaient aux agapes dans les salles des églises devaient être excommuniés (Canon 74) !

Lambert explique la séparation de l'agape de l'eucharistie ainsi:

L'influence la plus forte, cependant, vint de la montée d'un esprit sacerdotal et cérémoniel, par lequel l'institution simple du Christ fut lentement transformée en un sacrifice sacerdotal et mystérieux. Christ lui-même avait trouvé naturel et convenable d'instituer la Cène à la fin d'un repas social. Mais lorsque ce repas-mémorial a été transformé en la répétition du sacrifice au Calvaire par l'action d'un prêtre en fonction, l'idée ascétique voulant que l'eucharistie soit prise lors du jeûne devint naturelle; cela devenait un sacrilège que de le lier à la pratique d'un repas social ordinaire.

Nous ne voulons pas être réactionnaires ! Nous voulons pratiquer l'agape et vivre la réalité de la communion fraternelle.

Ce repas nous enseigne la communion fraternelle dont les chrétiens doivent jouir, le dernier repas de Jésus avec ses disciples, et le futur repas de Jésus avec ses disciples.

Le repas est nécessaire pour véhiculer une plus parfaite expression de la pâque chrétienne. Sans lui, le tableau de la communion fraternelle et des Noces de l'Agneau est obscurci. L'agape est indissociable de l'ensemble de la cérémonie instituée par notre Seigneur, la Sainte Cène.

Un dernier mot!

Le lavement des pieds, le repas et l'eucharistie forment un ensemble, une unité appelée la Sainte Cène. N'est-il pas juste d'observer la complémentarité des trois gestes ? Par le pain et le vin nous nous souvenons de l'aspect accompli, passé de notre salut grâce au sacrifice de Christ. Par le lavement des pieds, l'aspect actuel, présent de notre salut (le pardon quotidien du Seigneur). Par le repas l'aspect futur de notre salut (la glorification, la communion avec le Seigneur et avec les rachetés).

Bien sûr, le symbolisme de ces trois gestes dépasse ce bref résumé. Le lavement des pieds enseigne l'humilité et la nécessité de nous pardonner les uns les autres, pour entretenir des relations pures et saines dans l'église. L'agape illustre également la communion fraternelle. A plus forte raison, en négligeant ces deux dernier éléments en faveur de l'eucharistie seule, nous risquons de limiter l'impact et la valeur de la Sainte Cène, telle qu'elle est préconisée dans le Nouveau Testament.

La plupart des théologiens trouvent que la Cène exprime ces réalités spirituelles. Beaucoup avouent que le lavement des pieds et l'agape ont été pratiqués dans l'Eglise à une époque donnée. Ils admettent également que l'Eglise ne les pratique plus à cause des désordres souvent observés. Les Eglises Evangéliques des Frères ne veulent pas être réactionnaires et refuser une pratique biblique à cause des excès. Nous voulons tout à la fois accomplir le symbole et vivre la réalité spirituelle qu'il enseigne. Nous voyons l'importance exégétique et historique d'accomplir les gestes symboliques pour ne pas oublier les réalités spirituelles qu'ils enseignent ("vous conserverez le souvenir de ce jour et vous le célébrerez pour une fête en l'honneur de l'Eternel" Ex. 12.14). Nous ne sommes pas plus spirituels que nos frères et soeurs en Christ qui comprennent ces passages autrement. Soyons humbles. Appliquons Romains 14.22. "Cette foi que tu as, garde-la pour toi devant Dieu. Heureux celui qui ne se condamne pas lui-même dans ce qu'il approuve!"

Questions pratiques

Qui peut participer au repas du Seigneur ?

Toute personne née de nouveau dont la vie ne dément pas la profession de la foi. Un "chrétien" volontairement engagé dans une vie de péché s'expose à la discipline de l'Eglise et au jugement du Seigneur. Il doit s'abstenir, ou mieux, se repentir et en produire les fruits.

Certaines églises considèrent le baptême comme condition nécessaire. Cette position est tout à fait cohérente. Il ne nous semble toutefois pas nécessaire d'en faire une condition préalable. Le refus du baptême serait une condition d'abstention, en ce qu'il montrerait une insoumission à la Parole de Dieu. Les nouveaux convertis qui n'attendent que l'occasion, ou bien qui sont en cours de réflexion, devraient être invités à la table du Seigneur.

L'ordre des éléments a-t-il de l'importance ?

L'ordre du Seigneur devrait servir d'exemple. La progression de notre regard (futur, présent, passé) est riche de sens, et contient une certaine logique. Changer l'ordre ne semble donc pas souhaitable, même si ce n'est probablement pas là l'essentiel.

Peut-on dissocier les éléments de la Cène ?

Il nous semble que les éléments de la Cène sont indissociables. Aucun des éléments, pris séparément, n'enseigne pleinement ce que l'on cherche à évoquer. Nous célébrons une pâque, celle du Christ. L'ensemble forme un tout. C'est de la séparation des éléments qu'est venue la disparition du lavement de pieds et de l'agape, probablement car ces derniers étaient plus difficiles à organiser. La richesse des trois symboles est préservée dans l'expression des trois gestes.

A quelle fréquence doit-on prendre la Cène ?

L'Eglise de Jérusalem semble avoir célébrer la Cène tous les jours, du moins au début. Dans d'autres lieux, il semble que cela ait été les premiers jours de la semaine (le dimanche). Le Nouveau Testament ne commande pas de fréquence. Chaque culture, chaque contexte, doit permettre de choisir les moments de célébration. Entre "oublier" parce que les célébrations sont trop éloignées, et "se lasser" parce qu'elles sont trop fréquentes, les possibilités sont multiples !

Que dois-je faire si je déménage ?

L'Eglise est "l'appui et la colonne de la vérité" (1 Tim 3.15). C'est elle qui, devant Dieu, découvre le sens de la Parole et détermine l'enseignement à donner. Si l'on se joint à une église, on se place sous la responsabilité de cette église. Il est non seulement souhaitable, mais encore nécessaire, de prendre le repas du Seigneur comme cette église le comprend. Si l'on vous propose pain et vin, même si le geste est assurément moins complet, prenez-en avec la compréhension de ce que ces gestes évoquent.

Que dois-je faire si je ne suis pas sûr ?

Quel est le degré de votre conviction ? Si "vous n'êtes pas sûr" au point d'être contre, mieux vaut aller dans une église où vous vous sentirez plus à l'aise.

Si vous n'êtes pas encore sûr, vous pouvez toujours participer à la célébration de la Cène en observateur. Peut-être même vous sentirez-vous suffisamment à l'aise pour y participer. Prenez le temps de méditer les textes de l'Ecriture sur ce sujet.

Venant d'autres églises évangéliques (qui nous ont énormément apportées, et pour lesquelles nous sommes reconnaissants à Dieu) nous avons été surpris par l'agape et le lavement des pieds. Petit à petit, nous en sommes venu à apprécier la richesse du geste, puis l'exactitude de cet enseignement.

Appendice:Les ordonnances - Approche théologique

Les critères de définition

Le monde protestant reconnaît dans le Nouveau Testament deux ordonnances pour l'Eglise: le baptême et la Cène.

Par quel raisonnement peut-on isoler ces deux pratiques ? Comment distinguer ce qu'est une ordonnance ? Existe-t-il un type de commandements que l'on pourrait différentier d'autres catégories de commandements ? Il est capital de trouver une définition faisant office de filtre avant d'avancer. Car de notre définition dépend le nombre de "sacrements," comme le montre cette remarque de Calvin :

Je parle des sacrements donnés pour l'usage commun de toute l'Eglise, car touchant l'imposition des mains, par laquelle les ministres ou les pasteurs sont reçus en leur office, comme je permets bien volontiers qu'on la nomme sacrement, aussi je ne la compte point parmi les sacrements ordinaires qui sont donnés pour tous.

Ryrie admet de même :

Beaucoup (comme Thiessen) restreignent les ordonnances à ce que Christ a commandé à l'Eglise d'administrer dans l'Eglise. Par ce type de définition, le baptême et le repas du Seigneur sont clairement des ordonnances, bien que le lavement des pieds puisse ainsi être considéré.

Si une ordonnance était conçue en des termes plus larges [...] alors le mariage, et le rite de prier pour les malades en Jacques 5 pourraient être considérés comme des ordonnances. Le mariage a été institué par Dieu et symbolise la relation importante entre Christ et l'Eglise; et prier pour les malades engage l'Eglise par ses anciens.

Il est donc crucial que nous tombions d'accord sur ce que l'on entend par "ordonnance." Et ce d'autant plus que les Eglises de l'histoire n'ont pas toujours parlé d'une même voix.

Survol historique

L'élaboration du concept au sein de la chrétienté peut être résumé ainsi :

Fruit du développement de la pensée théologique post-néotestamentaire, sacrement vient du latin sacrementum, mot qui, pendant la période classique, avait deux sens principaux: a) terme légal, pour identifier la somme d'argent déposée par des adversaires lors d'un procès, somme qui devait être consacrée par le perdant à un usage sacré; b) terme militaire, pour désigner la formule d'engagement prononcée par un nouveau soldat.

Il n'est pas difficile de voir comment ces deux idées étaient combinées pour produire la notion d'un rite sacré qui était en même temps un engagement solennel. Ainsi, la Vulgate traduit le mot grec mustêrion, par sacrementum (Eph. 5.32; Col. 1.27; 1 Tim. 3.16; Ap. 1.20; 17.7). Peu à peu le mot est attaché aux deux ordonnances du Seigneur qui sont le baptême [...] et la Sainte Cène [...]. Et cependant, dans le NT grec, il n'existe ni un mot, ni même une idée générale qui corresponde au sacrement, et l'histoire de l'Eglise primitive ne contient pas la moindre trace du rapprochement de ce mot à tel ou tel rite ecclésiastique.[...]

C'est Tertullien (fin du 2e et début du 3e siècle) qui donne les premières indications de l'adoption de ce mot comme un terme technique désignant le baptême, l'eucharistie et d'autres rites de l'Eglise chrétienne.

... le mot "sacrement" pouvait s'appliquer de manière variée dans les premiers siècles de la chrétienté. Il pouvait être utilisé pour tout ce qui évoquait l'idée de sainteté. Tertullien l'a utilisé pour les oeuvres du Créateur, et pour l'oeuvre du Fils incarné, particulièrement sa mort. Le signe de croix, le sel donné aux catéchumènes, l'ordination des prêtres, le mariage, l'exorcisme, la célébration du sabbat - tout ceci était appelé sacrements. En même temps, ce terme s'appliquait plus particulièrement au baptême et au repas du Seigneur. Cette utilisation très vague se retrouve dans les écrits d'Augustin, d'Hilaire, de Léon le Grand, Grégoire le Grand et d'autres encore.

[...] Il n'y avait pas unanimité quant à leur nombre [le nombre des sacrements], qui allait de 5 à trente (Hugo de St. Victor). Pierre Lombart fut le premier à nommer les célèbres sept de l'Eglise Catholique Romaine. [officiellement adoptés en 1439 lors du Concile de Florence].

Aujourd'hui les confessions se regroupent en différents camps. La position de l'Eglise Catholique est demeurée la même, depuis le concile de Florence.

Le retour à la Parole de Dieu, initié par les réformateurs, a forcé l'examen d'une définition objective et biblique des "sacrements," afin de purger la liste de l'Eglise Catholique de ses ajouts.

Calvin donne la définition suivante :

Or je pense que cette définition sera propre et simple, si nous disons qu'un sacrement est un signe extérieur par lequel Dieu scelle en nos consciences les promesses de sa bonne volonté envers nous, pour confirmer la faiblesse de notre foi, et par lequel, à notre tour, nous rendons témoignage tant devant Lui et les Anges que devant les hommes, que nous le tenons pour notre Dieu.

On pourra encore plus brièvement définir ce qu'est un sacrement, en disant que c'est un témoignage de la grâce de Dieu envers nous, confirmé par un signe extérieur, avec une attestation mutuelle de l'honneur que nous lui portons.

[...]

On peut donc à bon droit définir les sacrements: des cérémonies, par lesquelles le Seigneur veut exercer son peuple, premièrement pour entretenir, exciter et confirmer la foi au-dedans du coeur, et après, pour attester la religion devant les hommes.

Zwingli partagea une vision assez similaire à Calvin, accentuant plus l'aspect pédagogique du signe et en diminuant la notion de "sceau."

L'un des fondateurs de notre famille d'églises, Alexander Mack (Allemagne, 1679-1735), considérait comme ordonnance tout ce que le Fils de Dieu avait institué en mémorial pour ses disciples. Mais la définition était trop vague, comme le montre la fluctuation de son application au cours des siècles. La première liste officielle connue fut adoptée en 1883 et incluait le repas du Seigneur, le pain et la coupe, le lavement des pieds et le saint baiser. En 1938 on y ajouta l'imposition des mains et l'onction d'huile. La liste fut réduite au baptême par triple immersion et à la Cène sous ces trois symboles en 1969.

Définitions modernes

Plusieurs définitions contemporaines nous aideront à affiner notre compréhension :

Louis Berkhof :

Un sacrement est une sainte ordonnance instituée par Christ, par laquelle, au travers de signes palpables, la grâce de Dieu en Christ, et les bénéfices de l'alliance de grâce, sont représentés, scellés et appliqués aux croyants, et ceux-ci, en retour donnent expression de leur foi et soumission à Dieu.

[...] Trois parties doivent être distinguées dans les sacrements.

1. Le signe extérieur ou visible.

2. La grâce spirituelle intérieur signifiée et scellée.

3. L'union sacramentelle entre le signe et ce qu'il signifie. [c'est-à-dire.: lorsque le sacrement est reçu dans la foi, la grâce de Dieu l'accompagne.]

La définition de Berkhof, très luthérienne, est au bord du "sacrementalisme," puisque Berkhof voit dans le sacrement un agent efficace (les grâces seraient "scellées" dans la vie du participant). Nous nous éloignons de cette conception et préférons les définitions suivantes.

A. H. Strong :

Par ordonnances, nous signifions les rites extérieurs dont Christ a ordonné l'administration dans l'église en, tant que signes visibles de la vérité salvatrice de l'évangile.

[En note, l'auteur distingue (1) un symbole, signe, ou représentation visible d'une vérité invisible; par exemple le lion est le symbole de la force et du courage, (2) un rite est symbole qui est utilisé régulièrement avec une intention sacrée, (3) une ordonnance est un rite symbolique affirmant les vérités centrales de la foi chrétienne, et dont l'obligation est universelle et perpétuelle].

Le Nouveau Dictionnaire Biblique reprend pour son compte les critères établis par la réforme :

Si les Réformateurs retiennent le terme sacrement, ils en distinguent cependant les marques nécessaires suivantes: a) leur institution par le Seigneur; b) la demande expresse adressée par le Seigneur à ses disciples de les observer; c) leur rapport intime avec sa Parole, de manière à devenir les expressions de la pensée divine, les signes visibles d'actes divins.

Henry C. Thiessen écrit :

On peut définir une ordonnance comme un rite extérieur institué par Christ pour être administré dans l'Eglise comme signe visible de la vérité salvatrice de la foi chrétienne.

Jules-Marcel Nicole définit ainsi une ordonnance :

On donne ce nom à une cérémonie qui constitue le signe visible d'une chose sacrée ou une forme visible de la grâce invisible.

David Plaster, définit une ordonnance selon trois critères : "Un acte de nature cérémonielle," "sens symbolique voulu et spécifié," et "attente de perpétuation." Suivant la synthèse de Plaster, nous relevons ces trois marques distinctives d'une ordonnance.

(1) "Un acte de nature cérémonielle." L'ordonnance se distingue des commandements d'ordre moral, tels que "aimez-vous les uns les autres". Un geste précis doit être attaché au commandement. Ce critère exclu des ordonnances le mariage, en ce qu'il n'est pas associé à un acte précis, et n'est pas commandé.

(2) "Un sens symbolique voulu et spécifié." L'ordonnance représente une réalité spirituelle. Elle exprime concrètement ce que le participant a vécu ou reçu intérieurement. Aucune ordonnance ne confère la moindre grâce. Le geste enseigne et illustre la grâce reçue, et en ceci la fortifie dans le croyant. Cela ne doit en aucun cas minimiser l'importance du geste. Car s'il est changé, le geste illustrera moins bien la grâce. Pire, il risque de la dénaturer. La minutie des rites de l'Ancien Testament doit nous encourager à préserver le geste dans sa plus grande pureté. Ce critère exclu le saint baiser (Rom. 16.16, 2 Cor. 11.13, etc.). S'il exprime l'amour dont doit se parer l'Eglise, il n'illustre rien de l'oeuvre du Christ ni de l'état du croyant. Il ne fait donc pas partie des ordonnances du Seigneur, telles que nous les avons définies.

(3) "L'attente de perpétuation." Le Christ voulait que tous les membres de l'Eglise le pratiquent, et non pas seulement un groupe restreint (comme les apôtres, les malades, les anciens, les mariés, etc.). Ce critère exclu dès lors l'onction d'huile, l'imposition des mains, et l'obscur "baptême pour les morts". L'attente de perpétuation de l'acte doit être claire et applicable à tout le peuple de Dieu.

Reste une question d'ordre général. A quelle condition le geste pratiqué par l'Eglise est-il valide devant Dieu ?

Les critères de validation

La foi

Le participant exprime extérieurement une réalité vécue intérieurement. Il devient nécessaire que cette personne ait une foi authentique. Ni le baptême, ni la Cène ne sont baptême et Cène si celui qui les pratique n'est pas d'abord enfant de Dieu. Simon le magicien, s'il a suivi les autres dans le baptême (Act. 8.13), n'a pas été réellement baptisé car Pierre révèle qu'il n'était pas né de nouveau (Simon se destinait à la "perdition", Actes 8.20). Son baptême était caduque. Si par la grâce de Dieu cet homme en était venu à se repentir, il aurait eu à se faire baptiser. Cela n'aurait pas été un deuxième baptême, mais plutôt son seul véritable baptême, celui qui est vécu dans la foi.

Tous ceux dont les parents les ont fait "baptiser" dans l'Eglise Catholique, (ou Orthodoxe, ou Luthérienne, etc.) doivent, s'ils se convertissent au Christ, témoigner de leur foi par le baptême. Ils n'ont pas été baptisés dans le sens biblique du terme.

Tous les gestes qui ont plu à Dieu ont été précédés par la foi des participants. Abel n'a pas offert un sacrifice de meilleure qualité que Caïn. Le Nouveau Testament par contre nous apprend qu'il a offert "par la foi" (Héb 11.4), c'est-à-dire dans la compréhension des conditions préalables pour s'approcher de Dieu. Dieu n'agréait pas les sacrifices des Israélites au temps d'Esaïe (Es. 1.11-15) parce que la désobéissance de son peuple démontrait son incroyance (voir également Mal. 2.13-14).

Que personne ne demande le baptême ni ne participe à la Cène sans s'être d'abord repenti de ses fautes dans la confiance du pardon que Dieu seul peut donner par Christ!

La compréhension

Ne pas comprendre la portée du geste invaliderait la participation réelle aux ordonnances. Paul exhortait les Corinthiens à prendre garde à la manière dont ils se servaient du pain et de la coupe :

Que chacun donc s'éprouve soi-même, et qu'ainsi il mange du pain et boive de la coupe; car celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur, mange et boit un jugement contre lui-même. (1 Corinthiens 11.28-29)

Ces versets sont à prendre au sérieux car ils sont associés à un jugement (v. 30-32). Ce que représente la Cène doit être assimilé, "discerné." Certes, nous trouvons divers degrés de compréhension, et cela ne conduit pas à un jugement. Mais il existe une sorte de minimum requis. On ne prend pas la Cène comme on boit un verre avec des amis. Un sens solennel et saint y est attaché. Prenons garde d'y méditer.

David exprime une idée parallèle dans le Ps. 51.18-19: "car tu ne prends pas plaisir aux sacrifices, autrement, j'en donnerais; tu n'agrées pas d'holocauste. Les sacrifices agréables à Dieu, c'est un esprit brisé: un coeur brisé et contrit; ô Dieu tu ne le dédaignes pas." Il faut laisser aux gestes symboliques leur juste place d'illustration. David reconnaît que les gestes symboliques (dans son contexte, les sacrifices) n'accompliront pas le pardon.

Les églises vivant dans une société fortement imprégnée de catholicisme devront veiller à la compréhension des participants aux ordonnances. Ils risquent de voir "trop" dans le geste en leur attribuant un pouvoir intrinsèque.

La précision du geste

La forme du geste est importante ! On ne peut changer un geste décrit dans les Ecritures sans changer l'illustration. On ne peut substituer l'immersion (pour le baptême) par l'aspersion. Le message de l'immersion est différent du message de l'aspersion (voir Rom. 6.4).

Dieu attache une grande importance à la précision des gestes qu'il commande. Car ils sont véhicules d'un message. Pensons à Ezéchiel, à qui Dieu demande de faire des choses étranges pour enseigner au peuple ce qui doit arriver (Ez. 4 & 5). Le prophète s'attendait à obéir littéralement, et a même demandé à Dieu de changer l'une de ses exigences, car elle lui semblait trop difficile (4.14-15). Ce ne sont pas les sept marches autour de Jéricho, ni les clameurs, qui ont fait tomber les murailles. Mais l'obéissance confiante. S'ils n'avaient pas accompli ce que le Seigneur leur demandait, Jéricho serait demeurée intact. Non pas à cause de la marche et des cris en tant que tels, mais en ce qu'ils illustraient. L'arbre du milieu du jardin n'avait pas de "fruits empoisonnés". Mais le geste d'Adam illustrait l'état de son coeur. Peu avant l'Exode, l'Eternel protégea les maisons dont les linteaux avaient du sang, non parce que le sang avait une valeur de protection, mais parce qu'il témoignait de la foi de la maisonnée (Ex. 12.22-23). Le geste a de l'importance !

L'onction d'huile est à pratiquer, même si l'huile n'a aucune qualité médicinale. De la même manière, le baptême et la Cène sont à pratiquer, en veillant avec le plus grand soin aux "détails" que nous donnent l'Ecriture.

Résumé

La foi du participant est le premier élément essentiel à la validité d'une ordonnance. Puis viennent la compréhension de ce que l'ordonnance signifie et la précision du geste. Geste et signification vont de pair. L'un est l'écho de l'autre. Le sens est renforcé par le geste. Le geste enseigne le sens. Nul ne peut faire l'économie de l'un sans effacer l'autre.

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